Pourchassés par Lucifer

Un brouillard épais et dense empêchait de voir quoi que ce soit. Au bout d'un moment il se dissipa. Un jeune garçon, âgé d'environ dix ans, se réveillait à peine : il avait les cheveux très courts, et semblait triste en ouvrant les yeux. À côté de lui, assise sur une chaise, se tenait une fille du même âge : les cheveux également courts, elle souriait à son copain de chambre qui venait d'émerger de son rêve.
- Alors, tu as bien dormi ?
- Pas trop, Daniella, j'ai fait un cauchemar !
- Lequel ?
- Toujours le même, je ne peux pas m'en empêcher.
- Et comment envisages-tu la suite ?
- Mes parents me manquent !
- Soit tu admets un mensonge, soit tu dois rester ici encore longtemps je crains...
- Je refuse de mentir !
- Bon, commençons déjà par le petit déjeuner : il nous a été servi il y a cinq minutes !
Sur une table, dans la petite chambre, était posé un plateau contenant des verres, du jus d'orange, du pain, du chocolat chaud et de la confiture. Ils avaient mangé à leur faim, ne laissant rien, et discutaient tranquillement lorsque la porte de leur chambre s'ouvrit : un médecin entra.
- Bonjour Daniella, comment vas-tu ?
- Je pense que je vais bien aujourd'hui, je me suis réveillée de bonne humeur.
- Tant mieux. Tu es sur la bonne voie, continue comme ça. Et toi Max ?
Le garçon mit ses mains devant sa bouche, pour montrer qu'il refusait de répondre.
- Rien de nouveau, hélas. Allez tous les deux en salle de jeu, et après Max tu suivras une thérapie avec le docteur Corlotti.
Sans se changer ils sortirent de la chambre et suivirent le docteur. Les couloirs étaient calmes, ils rencontraient quelques médecins qui les saluaient au passage. Le docteur poussa une porte et les fit entrer dans une salle : elle était remplie de plusieurs enfants qui étaient en train de jouer et rigoler. Ils portaient tous une chemise et un pantalon d'hôpital, certains avaient le crâne rasé alors que d'autres non, et semblaient passer un bon moment. Max et Daniella prirent place à une table, sans jouer, et préféraient rester ensemble plutôt que de mêler aux autres : le garçon se blottit dans les bras de la fille.
- J'ai peur ! Je ne veux pas aller avec le docteur, il va me faire mal !
- Tant que tu refuseras de mentir, de leur dire ce qu'ils veulent entendre, ça continuera hélas.
- Mais si je mens je vais aller en enfer !
- Si tu mens pour rester en vie, pour qu'on ne te fasse pas de mal, tu penses que Dieu ne te pardonnera pas ?
- Je ne sais pas, alors je ne veux pas mentir !
Un surveillant s'approcha d'eux, et leur demanda pourquoi ils ne jouaient pas avec les autres : Daniella lui répondit qu'ils préféraient attendre la fin de la récréation, qu'ils n'avaient pas envie de jouer. Il posa la question plus précisément à Max, qui refusait de répondre et se cachait encore plus dans les bras de Daniella. Il n'insista pas et repris sa place. Après quasiment une heure, deux médecins arrivèrent pour ramener les enfants dans leurs chambres : les enfants repartaient, deux par deux, lorsque vint enfin le tour de Max et Daniella. Ils suivirent le médecin, Max se tenait très fortement au bras de Daniella, et arrivèrent à leur chambre.
- Tu peux entrer, Daniella, mais pas toi Max : le docteur va te recevoir.
- Ne me laisse pas, s'il te plaît, Daniella, j'ai peur...
- Ne la mêle pas à ça, Max, sois courageux !
- S'il te plaît Daniella...
Max commençait à pleurer lorsque le médecin le força à lâcher le bras de Daniella pour le suivre. Il pleurait énormément, forcé à aller voir ce médecin qui allait lui faire du mal, et était entraîné contre son gré dans un interminable couloir. Tout à coup Daniella surgit : elle avait un extincteur dans les mains et, d'une force surprenante, mit un coup sur la tête du médecin, qui tomba inconscient instantanément. Elle prit le garçon par la main et ils se mirent à courir. Elle portait dans le dos un gros sac noir qui semblait bien rempli. Daniella l'entraîna dans un escalier qui descendait jusqu'à une salle plongée dans le noir, seule la lumière de l'étage permettait d'y percevoir des tables sur lesquelles étaient posés des dossiers. Daniella voulait l'entraîner au-delà d'une grille ouverte, mais Max hésita.
- C'est quoi tous ces dossiers ? Nous sommes dans une salle d'archives ?
- Non, les archives sont au sous-sol de la cancérologie : ici c'est une zone de stockage temporaire.
- Et on va où ?
- Je t'emmène avec moi, pour échapper à ce docteur, pour échapper à la souffrance, pour échapper au mensonge qu'ils veulent que tu dises : fuyons Lucifer !
Max était ravi et la suivit sans réfléchir davantage. Ils avaient pénétré dans un endroit dans lequel il n'y avait aucune lumière, dans lequel ils ne voyaient absolument rien.
- Comment on va se repérer, Daniella ?
- Et hop !
Elle alluma une console de jeu, équipée d'une lampe.
- Un Gameboy Color équipé d'une lampe grâce au câble Link, des piles pour ne pas être en panne de lumière, de l'eau, des gâteaux, et un couteau suisse pour nous défendre : nous pouvons partir à l'aventure !
- Super ! Et on va où ?
- Peu importe, nous sommes pourchassés par Lucifer, alors allons le plus loin possible !
Ils partirent dans ce qui semblait être un labyrinthe : ils suivaient une infinité de couloirs, tournaient au hasard, et avançaient sans se retourner. Au bout d'un moment de marche ils arrivèrent à un cul de sac : Daniella voyait que Max était un peu fatigué.
- Tu veux qu'on fasse une pause, qu'on se restaure avec l'eau et les gâteaux ?
- Je veux bien, merci !
Ils s'assirent au sol et Daniella sortit une bouteille d'eau et un paquet de gâteau. Elle se mit à jouer à la console, en coupant le son, pendant qu'il se restaurait : il trouvait le jeu auquel elle jouait génial.
- Il est trop fort ton jeu ! Comment ça s'appelle ?
- C'est « Mortal Kombat 4 », un jeu de combat trop génial !
- T'es trop forte à ce jeu, tu le bats trop facilement !
- Merci. J'y joue depuis quelques mois déjà. J'aimerais bien savoir me battre comme le personnage, pour être indépendante et qu'on ne m'enferme plus à l'hôpital.
- Moi aussi...
- Tu me dis quand tu veux qu'on reparte dans ce labyrinthe.
- Je me sens bien ici, Lucifer ne pourra pas nous trouver !
- Restons un peu alors.
- Tu penses qu'on va pouvoir se cacher pour toujours ?
- Non, malheureusement on devra retourner dans l'hôpital et subir les conséquences de notre fuite.
- Ils vont nous faire quoi, tu penses ?
- Nous priver de récréations pendant un bon moment, et envoyer une lettre à nos parents pour leur dire que nous sommes encore plus perturbés...
- Et tu penses que je pourrais ne plus subir d'électrochocs avec le docteur Corlotti ?
- Malheureusement, tant que tu ne diras pas ce qu'ils veulent te faire dire, tu devras subir hélas.
- Mais je refuse d'admettre que...
Il s'arrêta, il crut entendre un bruit. Après quelques secondes il s'aperçut que non, son imagination avait dû lui jouer un tour.
- Bref, avec tous ces électrochocs j'ai peur que ça emballe trop mon cœur et que je meure.
- Ils font attention un minimum, mais oui c'est très violent. Sinon...
- Sinon quoi ?
- Sinon je pourrais essayer de te faire sortir d'ici. Tes parents habitent où ?
- Ils vivent à Paris, près de la gare du Nord.
- Si je réussis à te faire sortir, tu penses pouvoir les rejoindre à pied ?
- Bien sûr, j'espère seulement qu'ils ne seront pas trop fâchés.
- Bon, on va essayer.
Daniella arrêta son jeu, tout en conservant la lumière, et sortit de son sac une boussole.
- Heu, ça nous sert à quoi de savoir où se trouve le nord ? Tu vas m'emmener directement chez mes parents ?
- Le bâtiment dans lequel nous vivons se trouve dans la partie Est de l'hôpital. Donc si on veut leur échapper nous devons aller vers l'Ouest.
- T'es trop intelligente, j'espère devenir comme toi un jour !
- Merci, t'es adorable. Allez, en avant !
Ils se mirent en route, en suivant les indications de la boussole. Les couloirs, les passages, semblaient interminables. Ils arrivèrent un moment à une grande porte en métal, qui était par chance ouverte : ils l'ouvrirent le plus doucement possible. Ils étaient arrivés jusqu'à un couloir d'hôpital, éclairé, mais totalement vide. Daniella referma la porte.
- Bon, on va tenter de s'échapper.
- Comment ça ?
- Je suis blessée et meurtrie de voir à quel point tu souffres, à cause de leur médecine débile : on va s'en aller pour de bon.
- Et comment ?
- Je prévois cette évasion depuis quelques semaines, et c'est l'occasion parfaite !
Elle sortit du sac des vêtement, pour elle et Max, et lui dit de se changer. Quand ils furent tous deux habillés, débarrassés de leurs vêtements d'hôpital, ils laissèrent le sac dans le labyrinthe et pénétrèrent dans le couloir. Ils progressaient, à la recherche d'un ascenseur, sans croiser personne. Une fois arrivés Daniella appuya sur le bouton : rien ne se produisit. Elle réessaya : toujours rien. Il fallait une clé apparemment pour l'activer. Il y avait à côté de l'ascenseur une porte en métal : elle prit dans son pantalon une épingle et tenta d'ouvrir la serrure.
- Mais on ne peut faire ça que dans les films ! Comment tu as appris ?
- En regardant les films justement !
- Et tu penses que je pourrai apprendre aussi ?
- C'est assez compliqué : tu n'auras qu'à demander à ton père quand tu seras à la maison.
- Il ne m'aime pas, j'ai l'impression, parce que je refuse d'être ce qu'il veut.
- Il devra bien l'accepter un jour, ne t'inquiète pas !
Une fois la porte ouverte ils s'engagèrent dans un escalier, qu'ils montèrent le plus rapidement possible. Une fois arrivés au rez-de-chaussée, ils sortirent dans le grand hall et, la tête baissée, se dirigèrent vers la sortie : un vigile les interpela. Daniella prit la main de Max.
- Excusez-moi, les enfants, où sont vos parents ?
- Ils nous attendent juste là, dehors.
Elle montra du doigt un homme et une femme en train de discuter et fumer, devant l'entrée du bâtiment.
- Je vais vous raccompagner jusqu'à eux.
Ils sortirent tous les trois, et le vigile s'adressa aux deux personnes que Daniella avait désignés.
- Bonjour madame, bonjour monsieur.
- Bonjour monsieur le vigile, qu'y a-t-il ?
- C'était pour vous dire de ne pas laisser vos enfants sans surveillance, ça peut être risqué même si nous sommes dans un hôpital qui est certainement un lieu sûr.
- Quels enfants ?
- Ceux-là... Hé !
Pendant que le vigile leur parlait, Daniella et Max s'étaient enfuis, s'étaient mis à courir en direction de la sortie de l'hôpital. Ils étaient arrivés quasiment à leur objectif lorsque Daniella fut attrapée, par la taille, par une infirmière qui la mit au sol et la bloqua. Max s'arrêta, ne sachant que faire.
- Daniella, on fait quoi ?
- Fuis, fuis, et retourne chez toi !
- Ne t'en vas pas, Max, tu n'es pas soigné. Reviens, s'il te plaît.
- Madame Joubert, s'il vous plaît, laissez-le partir !
- Max, reste s'il te plaît, il faut que tu te soignes ici.
- Fuis ! Fuis ! Retourne chez tes parents !
Max commença à courir mais fut immédiatement stoppé par un infirmier. Sous la surveillance des deux infirmiers et du vigile, sous les regards curieux des gens autour, ils furent ramenés au bâtiment psychiatrique. Comme il s'y attendaient l'accueil de deux médecins, qui étaient furieux, fut une épreuve.
- Daniella, ce n'est pas la première fois que tu tentes de faire échapper un enfant. Tu n'es toujours pas guérie de ton syndrome du sauveur, il va falloir travailler ça. En envoyant Max dans la rue, tu allais lui faire courir un grand danger.
- Quel danger, monsieur ? Elle voulait seulement que je rentre chez mes parents !
- Quels dangers ? Les voitures, les gens mal intentionnés, et possiblement te perdre dans la ville.
- Je veux rentrer chez moi !
- Non, le docteur Corlotti t'attend pour ta séance.
- Je ne veux pas rejoindre Lucifer ! Au secours !
Daniella et Max criaient le plus fort possible : elle fut emmenée dans une salle d'examen, pendant que lui était emmené dans l'ascenseur. Ils descendirent jusqu'au sous-sol et Max fut emmené dans une salle, assez froide, et placé sur une table en bois : ses chevilles et ses poignets furent attachés à des sangles. Il ne pouvait plus bouger, était complètement apeuré, et espérait une intervention pour être sauvé. Un grand médecin, avec de grosses lunettes et une longue barbe, fit son apparition.
- Bonjour, Max, comment vas-tu ?
- Je veux que vous me libériez, s'il vous plaît !
- D'accord, mais pour cela il va falloir que tu admettes la vérité. Répète après moi : je suis un jeune garçon de dix ans !
- Non, vous êtes un vieux monsieur avec une grande barbe !
Max rigola, ce qui ne plut pas du tout au docteur.
- Soit tu acceptes de dire la vérité, soit on réinitialise ton cerveau avec de l'électricité pour que tu admettes enfin la vérité.
- Je ne suis pas un garçon. Je suis une fille. Une fille ! C'est seulement que je suis née dans le mauvais corps !
- C'est impossible. Les filles ne peuvent pas naître dans un corps de garçon.
- Et c'est pourtant ce qui m'arrive. Laissez-moi partir, s'il vous plaît...
- Soit, réinitialisons ton cerveau !
Un infirmier plaça un morceau de bois dans la bouche de Max, qui se retrouvait coincé entre ses dents, et lui appliqua deux électrodes au niveau des tempes : il alluma une machine qui se trouvait derrière sa tête. Le docteur se pencha au-dessus de Max et lui retira le morceau de bois.
- Dernière chance : es-tu une fille, ou un garçon ?
- Je suis une fille ! Je suis Danielle !
Le docteur remis le morceau de bois dans la bouche de Max, se rapprocha de la machine et appuya sur un bouton qui enclencha un coup de jus.