Le lapin martien

Paul secoue l'épaule de Danielle.
- Hey, tu vas bien ?
- Quoi ?
- On y va ? Vaut mieux ne pas traîner ici.
- Pardon, j'étais perdue dans un souvenir que je pensais avoir enfouit au plus profond.
- Lequel ?
- C'est sans importance. Allez, tentons de prendre cet ascenseur.
Il n'y a aucun bouton pour appeler l'ascenseur, seulement une serrure. Danielle essaie les différentes clés, et l'une d'elles fonctionne : un affichage indique que l'ascenseur est en descente. Une fois arrivé la porte s'ouvre : se trouvent à l'intérieur deux personnes, deux femmes. Paul et Danielle montent dedans.
- Bonjour jeunes gens. Vous allez à quel étage ?
- Au rez-de-chaussée, et vous ?
- Au second.
L'ascenseur s'arrête au niveau zéro, Paul et Danielle en sortent. Ils quittent le bâtiment, puis l'hôpital, et vont se poser sur un banc, dans un square, derrière Notre-Dame. Danielle sort les différents documents de son sac, notamment celui de Huguette Jouanet. Il s'avère qu'elle est la fille de Léon et Marianne Fournier, et la mère de trois filles : Aurore Bernard, Mimose Jouanet et Rose Jouanet.
- Dis, Paul, ta mère Rose est née quand ?
- Je ne sais plus, je sais qu'elle a cinquante-neuf ans.
- Ce qui nous donne bien mille-neuf-cent-soixante-trois. Donc Mimose ne serait pas ta grand-mère mais ta tante...
- Mais c'est impossible, Mimose est ma grand-mère !
- Pas d'après ce dossier. Et si on lie tous les dossiers ensembles, malheureusement...
Danielle pose une main sur l'épaule de Paul.
- Tu as eu une relation sexuelle avec Mireille Card qui serait ta cousine.
- Comment ça ?
- Si Huguette Jouanet est bien la mère de Rose Jounet, ta propre mère, et celle d'Aurore Bernard, alors Mireille Card est la fille de la sœur de ta mère.
- Mais non...
- Si, je le crains hélas.
Paul se lève, réfléchit, et des larmes commencent à tomber de ses yeux.
- Mais c'est horrible, je suis dégueulasse...
- Non, car tu ne savais pas qu'il y avait ce lien de famille entre elle et toi.
- Mais quand même...
- Je suis désolé que tu découvres ça, Paul, mais tu n'es en aucun cas responsable ou coupable de ce lien.
Danielle se lève à son tour et prend Paul dans ses bras, qui pleure à chaudes larmes. Elle tente de le rassurer, de lui dire que ça n'a aucun impact sur son avenir, et qu'il est mieux d'essayer d'oublier cet incident plutôt que de lui donner trop d'importance. Une fois qu'il est un peu calmé elle range les différents documents dans son sac, prend son téléphone et cherche quelque chose.
- Bon, vu que nous sommes censés rentrer demain, on pourrait profiter de ce week-end sur Paris pour visiter, Paul ?
- Pourquoi pas, tu veux qu'on aille où ?
- Voir les différents monuments. On commence par la Tour Eiffel ?
- C'est parti.
Ils prennent le métro et se rendent au Champ de Mars : il fait très beau, et il y a beaucoup de monde. Ils se sont installés sur l'herbe pour profiter, pour flâner un peu avant de continuer leur visite, quand un moment un couple et leur fille se posent près d'eux. Ils installent un plaid au sol et la petite fille sort, d'une boîte en plastique, un adorable petit lapin blanc, avec des tâches bleues et vertes, habillé d'un harnais et tenu par une laisse. Paul s'avère intéressé par cet animal hors du commun.
- Bonjour petite, je m'appelle Paul, et toi ?
- Je m'appelle Farah.
- Enchanté. C'est quoi comme type de lapin, ton animal ?
- Il s'appelle Kjyrft !
- Et c'est quelle espèce ?
- Comment ça ?
- Je n'ai jamais vu de lapin comme ça...
- C'est normal, parce que mon lapin est arrivé sur Terre il n'y a pas longtemps, il vient d'une autre planète !
- Comment ça ?
- Il vient de Mars, c'est un lapin martien !
- Vraiment ?
- Oui. Il a débarqué dans notre jardin dans un petit vaisseau spatial.
- Je peux le prendre dans mes bras, s'il te plaît ?
- Bien sûr, mais fais attention il n'aime pas qu'on le caresse sous le ventre.
La petite fille lui confie la laisse de son lapin : Paul l'amène jusqu'à lui et le prend sur ses genoux. Lui et l'animal se regardent, tous les deux, droit dans les yeux. Paul détache la laisse du harnais, pour prendre l'animal dans ses bras sans être gêné. Il approche sa bouche pour lui faire un bisou : le lapin ne semblait pas consentant, sûrement très énervé d'être manipulé de trop près par ce grand inconnu qui l'intimide : l'animal se retourne, entre les mains, et lui met dans le nez un gros coup de patte arrière. Paul le lâche en râlant assez fort, plutôt mécontent de cette attaque soudaine : le bruit fait fuir le lapin.
- Ho non ! Kjyrft, reviens !
- Vous auriez pu faire attention, jeune homme...
- Je suis désolé, je vais le rattraper.
Paul et Danielle, ainsi que la petite fille et son père, se mettent à courir pour tenter de rattraper l'animal. Il va vite, très vite, si vite qu'il est difficile de le suivre tellement il est rapide et changea de direction spontanément. Après quelques minutes de course la petite fille pleure, dans les bras de son père : il demande aux deux jeunes de rattraper leur animal de compagnie avant qu'il lui arrive un accident. Danielle, avec son sac sur le dos, n'est pas dans les meilleures dispositions pour cette chasse.
- Bon, Paul, quand on veut attraper un animal plus rapide que soit on s'y prend comment ?
- On va encore plus vite que lui ?
- Parce que tu penses pouvoir courir plus vite que ce lapin ?
- Heu...
- Donc on va l'encercler, pour le piéger et l'attraper.
- D'accord, qui va où ?
- Toi de ce côté, et moi par ici.
Paul se met à poursuivre le lapin en restant sur la gauche de sa trajectoire, Danielle sur la droite. L'animal les fait courir dans différentes rues de Paris, pendant un peu plus d'une heure, pour les emmener jusqu'aux abords de la gare Montparnasse. Dans une rue sans issue ils réussissent à le piéger, et au bout d'une demi-heure de lutte Danielle parvient enfin à l'attraper.
- Bravo Danielle, on a enfin réussi ! Bon, où sommes-nous ?
- Nous sommes derrière la gare Montparnasse.
- Mince, c'est loin de la tour Eiffel ?
- Disons qu'on ferait mieux de récupérer la voiture pour aller rendre ce lapin, ce sera plus rapide.
- Très bien, je te suis !
- Prend-le s'il te plaît, que je puisse récupérer mon téléphone et nous repérer avec le GPS.
Danielle confie le lapin à Paul qui le place, fermement collé dans ses bras, pour qu'il ne puisse pas se libérer malgré les mouvements effectués pour se débattre, et ils partent tous les deux récupérer la voiture. Alors qu'ils sont rendus à quelques dizaines de mètres de leur destination, Danielle s'arrête d'un coup et met son bras pour stopper Paul : plusieurs policiers tournent autour de la voiture, fouillent l'intérieur et cherchent probablement des indices. L'homme qui a voulu les agresser sur l'autoroute, et à qui ils ont volé la voiture, a très certainement porté plainte. Heureusement que Danielle a pris tous les sacs, la veille, et n'a rien laissé dans la voiture. Enfin elle l'espère : elle se met à réfléchir, le plus intensément possible, pour savoir si quelque chose a pu être oublié. Paul veut parler mais elle l'en empêche sec, pour ne pas perturber sa réflexion importante, qui dure quelques secondes.
- Tu voulais dire quoi, Paul ?
- Pas d'inquiétude, on n'a laissé aucun indice sur l'hôtel et l'hôpital.
- On doit partir du principe qu'ils ont nos visages, et sont au courant pour notre passage dans les archives de l'hôpital, avec les témoins et éventuellement les vidéos de surveillance...
- Ha oui, quand même.
- ... et s'ils sont au courant de ton affaire à la maison, ils savent qu'on a au moins pris le dossier de Mireille Card à l'hôpital !
- Tu réfléchis trop, non ?
- Soyons raisonnablement pessimistes et logiques. Maintenant qu'ils ont la voiture ils vont faire le tour des hôtels, au cas où, et surveiller les départs des trains et cars pour Auxerre.
- Mince, comment on va faire alors ?
- Chaque chose en son temps. Est-ce que tu as des affaires que tu dois impérativement récupérer à l'hôtel ?
- Non, j'avais seulement des vêtements.
- Pour ma part je dois tout de même récupérer des médicaments. Tu vas m'attendre quelque part, caché, et on se retrouve pour retourner à la tour Eiffel ensemble.
- C'est d'accord, je vais où ?
- Je pense que tu vas...
- Hey, vous, attendez !
Ils se retournent vers la voiture : un des policiers les a vus, les a reconnus. Ils sont trois policiers à se diriger vers eux, armes à la main. Paul lève le lapin, entre ses deux mains, vers le ciel.
- Allez, petit lapin martien, emmène-nous loin d'ici !
- Tu fais quoi, Paul ?
- Bah vu que c'est un lapin martien, il a peut-être des pouvoirs ?
- T'es sérieux ?
- Je ne connais pas cette espèce de lapin, donc c'est possible...
- Mais... allez, fuyons !
Ils se mettent à courir, qu'importe la direction, pour leur échapper.
- Je dois retourner à l'hôtel, c'est important : fuis, et on se retrouve sur l'herbe à la tour Eiffel, d'accord ?
- Mais comment je peux être certain de les semer ?
- Saute dans un bus ou un métro sur le point de partir, et crois en ta chance !
- Je vais faire de mon mieux, à tout à l'heure.
Ils se séparent à l'embranchement de deux rues. Après une bonne minute de course Danielle se retourne : aucun policier la poursuit, ils semblent avoir tous été sur les traces de Paul. Dans le doute elle continue sa course, prenant des rues au hasard, tout en prenant le soin de se rapprocher de l'hôtel. Une fois arrivée elle monte rapidement dans la chambre : personne ne l'y attend, et les sacs semblent au bon endroit. Elle ouvre rapidement le sien et prend ses médicaments, ainsi que son chargeur de téléphone. Elle ouvre ensuite le sac de Paul, voir s'il a oublié de mentionner un objet important : il y a des vêtements mais aussi son chargeur de téléphone, qu'elle prend dans son sac. Elle recharge, dans la salle de bain, sa bouteille d'eau, et alors qu'elle est sur le point de repartir elle entend des coups de sifflet. Elle va à la fenêtre et l'ouvre pour entendre ce qui se passe en bas : Paul est en train de courir lorsque tout à coup il s'arrête, se retourne et jette le lapin sur les trois policiers.
- Allez, lapin martien, fais exploser ces policiers !
Malgré cette incantation farfelue, cette envie de provoquer quelques chose, les paroles de Paul restent sans action : le lapin a été attrapé au vol par un des policiers, et se débat furieusement pour tenter de s'enfuir. Alors que Paul s'est engagé dans une bouche de métro, il se passe tout de même quelque chose d'étrange : le policier qui a attrapé le lapin le lâche d'un coup, en poussant un cri, et s'évanouit instantanément. Le lapin a-t-il effectué quelque chose d'étrange, de paranormal, pour se débarrasser du policier et le mettre au sol ? Quelle qu'en soit la raison Danielle referme la fenêtre, rend la clé de la chambre à l'accueil de l'hôtel et s'en va. Elle marche, pour ne pas paraître bizarre, et se dirige le plus rapidement possible vers une station de métro. Elle s'apprête à descendre les marches quand elle aperçoit le lapin qui saute et file le plus rapidement possible. En arrivant à la hauteur de Danielle, il arrête sa course et lui saute dans les bras : a-t-il reconnu Danielle ? Elle le place contre son ventre, en dessous de son gilet, pour ne pas attirer l'attention, puis récupère dans une poche un ticket de métro et prend la ligne en direction du nord.
Elle effectue un changement, et après un moment elle arrive à l'endroit où ils ont rencontré la famille et le lapin, au pied de la Tour Effel. Il y a du monde mais elle ne reconnait personne, et surtout elle ne voit pas Paul. S'est-il fait arrêter par la police ? Elle se rend compte qu'elle n'a pas du tout son numéro de téléphone, donc elle ne peut pas le contacter pour avoir de ses nouvelles. Elle se posa et attend un peu.
- Vous avez réussi à retrouver notre lapin, mademoiselle ?
Elle se retourne et reconnaît le père de la fille qui s'approche d'elle. Elle ouvre son gilet pour laisser apparaître la tête de l'animal.
- Super ! Vous avez eu du mal à l'attraper ?
- Ho que oui, c'est un sprinteur hors pair !
- C'est qu'il est en bonne santé alors. Ma femme et ma fille sont rentrés à la maison, merci de nous l'avoir retrouvé et rapporté.
- C'était la moindre des choses. Désolée pour l'incident.
- Tout est rentré dans l'ordre, tout va bien. Merci à vous et à votre ami.
- D'ailleurs, vous ne l'avez pas aperçu par hasard ?
- Non, il n'est pas avec vous ?
- Bon, tant pis. Bonne soirée.
- Merci à vous, bonne soirée également.
Elle confie le lapin à l'homme, qui le place dans une caisse de transport en plastique, et Danielle se rassied pendant qu'il s'en va. Elle attend une bonne heure, guettant les alentours, mais ne voit pas Paul arriver. Un moment elle se lève, sort son téléphone pour chercher un plan pour rentrer chez elle, lorsqu'elle le voit arriver en marchant très tranquillement.
- Quand même, tu en as mis du temps !
- Cette course m'a fatigué, tellement que je me suis perdu dans le métro.
- Bon, au moins tu ne t'es pas fait attraper. Maintenant il faut qu'on réfléchisse pour rentrer chez nous.
- Le train ?
- Surveillé par la police très certainement.
- Le bus ?
- Tout autant.
- Bon, bah on est mal barrés...
- Je vais regarder s'il y a un covoiturage possible.
- Si besoin je peux payer, pas de souci.
- Il y en a plusieurs à partir de demain, mais ils vont jusqu'à Auxerre maximum, pas plus loin.
- Aucun souci : j'ai un pote qui habite à Auxerre, il pourra nous ramener à Toucy.
- Excellent, il faut qu'on trouve un endroit où se cacher et dormir maintenant.
- On cherche un hôtel dans Paris ?
- Allons plutôt en périphérie, loin du centre, en espérant ne pas tomber sur des policiers.
Ils se rendent dans le sud de Paris, dans le treizième arrondissement, et trouvent une place dans un grand hôtel avec deux lits séparés. Ils vont acheter de quoi manger, et se retranchent dans la chambre pour y rester cachés jusqu'au lendemain.
- Dis, Danielle, tu n'as peur qu'on nous trouve dans cet hôtel ? On n'aurait pas mieux fait d'en choisir un plus petit ?
- Ils vont supposer qu'on se cache dans un endroit très discret, plutôt difficile d'accès : c'est un choix judicieux de venir ici.
- Certes, mais s'ils interrogent toutes les réceptions des hôtels, dont le nôtre ?
- J'ai pris les chambres avec mes lunettes de soleil, sous un faux nom, en payant en espèce : il y a toujours des risques, mais j'ai tenté de les réduire au maximum.
La nuit est tombée, ils ont fermé les volets, et ils regardent tranquillement la télévision dans la pénombre, lorsque le téléphone de Danielle sonne. Elle l'alluma, elle vient de recevoir un texto : en lisant les premières lignes elle fond instantanément en larmes, et est totalement en pleurs après l'avoir lu intégralement. Paul se lève de son lit et va s'asseoir à côté d'elle.
- Qu'est-ce qu'il y a ? Qu'est-ce qui te fait de la peine ?
- Ma mère a été admise à l'hôpital d'Auxerre après un accident de voiture.
- Mince, je suis désolé. On ira la voir demain dès qu'on arrivera, d'accord ?
- Et c'est à cause de moi, mes parents sont partis à ma recherche et ils ont eu un accident sur la route de Paris.
- Ce n'est pas ta faute, tu n'y es pour rien...
- Si je ne leur avais pas menti, ils ne seraient jamais partis me retrouver et n'auraient pas eu cet accident...
- Comment ils ont su que nous sommes partis ensemble à Paris ?
- Je ne sais pas, mais ce n'est pas la question : j'ai menti et ma mère en paie les conséquences...
Alors que Danielle est totalement bouleversée, complètement abattue, Paul la prend dans ses bras et lui fait un câlin. Elle se laisse faire, elle a besoin de réconfort. Il lui fait un bisou sur la joue, et s'apprête à retourner dans son lit quand elle l'attrape par le cou et l'embrasse sur la bouche. Elle l'attire sur lui, le fait s'allonger avec elle sur le lit, et l'entraîne à faire l'amour ensemble. Le lendemain matin, assez tôt, le téléphone de Danielle sonne : elle a, la veille, programmé le réveil pour avoir le temps de se préparer avant de rejoindre le covoiturage. Paul ouvre les yeux, il affiche un énorme sourire.
- C'était trop bien cette nuit !
- On n'en parle pas s'il te plaît.
- Pourquoi ?
- J'étais triste, je ne sais pas ce qui m'a pris, mais ça ne se reproduira jamais.
- Mais...
- Pas de mais, s'il te plaît. C'est arrivé, et maintenant c'est terminé. Bon, préparons-nous.
Ils prennent chacun leur tour une douche, s'habillent et vont rejoindre un certain Antonio pour le covoiturage jusqu'à Auxerre. Le trajet, qui a duré environ deux heures, se passe tant bien que mal : Danielle a son esprit partagé entre la gêne de ce qui s'est passé la nuit précédente, et son inquiétude pour sa mère, ce qui ne la rend pas particulièrement loquace. Paul a un peu discuté, mais ne semble pas avoir de centre d'intérêt en commun avec leur chauffeur. Une fois arrivés à destination ils se dépêchent d'aller à l'hôpital et tombent sur Rolland, le père de Danielle, en se rendant au bâtiment principal : il est dehors, en train de regarder l'intérieur du hall d'accueil par les vitres, tout en fumant une cigarette.
- Alors, papa, comment va maman ?
Rolland se retourne : il affiche un visage torturé, et pleure abondamment.