En route vers le passé

06/09/2022

Arrivés à l'hôpital ils entrent, au milieu des allers et venues des gens. Danielle, qui a séjourné dans cet établissement par le passé, connaît plutôt bien les lieux, et sait que les archives se trouvent quelque part au sous-sol, dans le bâtiment de cancérologie. Le seul souci est que pour accéder au niveau voulu il faut une clé, que seul le personnel possède : ce fait ne l'inquiète aucunement, elle a une idée de la façon dont elle va réussir à mettre la main dessus. Elle repère un groupe de médecin qui parle, rigole, et qui se dirige vers la sortie : ils sont très certainement en train d'aller en pause. Tout à coup, alors qu'il marche en sens inverse avec son téléphone à l'oreille et en regardant en l'air, Paul bouscule le plus jeune d'entre eux, et tombe avec lui.

- Désolé, monsieur, je ne vous ai pas vu : je suis vraiment désolé pour cet accident.

- Pas d'inquiétude, il n'y a pas mort d'homme. Faites seulement...

Paul se remet immédiatement debout. Alors que l'autre est en train de se relever, Danielle, qui a ouvert un livre devant les yeux et porte une paire de lunettes de soleil, le bouscule en faisant semblant de ne pas l'avoir vu, et tombe également avec lui : dans la foulée elle lâche son livre et entoure de ses bras le médecin pour amortir le choc.

- Sincèrement désolée, j'étais plongée dans mon livre !

- Aucun souci, chère mademoiselle. Vous vous êtes fait mal ?

- Je crois que tout va bien. Bon, je dois vite y aller, on m'attend : désolée, au revoir.

Elle ramasse son livre et part rapidement. Elle est rejointe par Paul une minute après au niveau de l'ascenseur. Elle tient un trousseau de clé en main, prête à descendre : en entourant des bras le médecin, elle a pu glisser ses mains dans les poches du jeune homme assez naïf et lui subtiliser l'objectif convoité. Ils montent dans l'ascenseur et descendent au dernier étage. Danielle a pris son couteau suisse dans la main, pour se rassurer et se préparer à une quelconque altercation, et a confié à Paul une lampe torche. La porte de l'ascenseur s'ouvre : personne ne semble dans le coin, tout est calme. Paul allume sa lampe, un panneau indique la salle des archives : ils s'engagent dans le couloir. Il y a peu de lumière, ils ne voient pas le bout de leur chemin, et en dehors de leurs pas aucun autre bruit n'est audible. Ils arrivent à une porte fermée : Danielle tente toutes les clés pour l'ouvrir, sans succès. Elle prend deux épingles et crochète la serrure : Paul est surpris par sa capacité à se débrouiller.

- Tu as appris tout ça où ?

- Fallait pas sécher tous les cours de technologie ce trimestre !

- Sérieux ?

- Non ! Mon père m'a appris à faire ça, un été, alors qu'on avait perdu les clés de notre location.

La serrure ne résiste pas longtemps et ils pénètrent dans une énorme salle d'archives. Danielle prend sa lampe torche, l'allume, et regarde les premiers dossiers sur leur passage.

- Ils semblent classés par nom de famille. Je te laisse trouver le dossier de Mireille Card, je cherche celui d'Aurore Bernard.

- Ça marche !

Elle laisse Paul aller de son côté et cherche dans les « B ». Elle prend quelques dossiers et essaie de se repérer par rapport à l'année de naissance de Mireille, ainsi que l'âge de la mère à sa naissance : ils sont rangés par années et mois de naissance des différents patients. Au bout de plusieurs minutes elle tombe sur ce qu'elle cherche : le dossier d'Aurore Bernard. D'après ce qui est écrit elle a été internée en psychiatrie entre ses quinze ans et ses dix-huit ans ; et a donné naissance, à l'âge de quinze ans, à la petite Mireille qu'elle n'a pas reconnu à sa naissance. Le père en est Léon Fournier, un homme âgé de trente-deux ans lors de l'arrivée au monde de ce bébé.

La mère était mineure au moment de la naissance de Mireille, et le père majeur : il s'agissait très certainement d'un abus sexuel, ce qui expliquait très certainement d'une part pourquoi Aurore Bernard considérait qu'il pourrissait en enfer ; et d'autre part l'abandon de cet enfant non désiré, produit donc d'un viol.

Ensuite, concernant les parents de cette Aurore, elle est la fille d'une certaine Huguette Jouanet et de Léon Fournier, elle âgée alors de douze ans et lui de dix-sept ans. Dans ce cas l'enfant n'a également pas été reconnu par ses parents. Ce Léon Fournier semble le même, d'après certains commentaires dans le dossier : il est donc le père d'Aurore et de Mireille, et a abusé sexuellement des filles de douze et quinze ans. Cet homme devait être très certainement une pourriture de l'humanité. Danielle range les dossiers dérangés, en conservant celui d'Aurore Bernard, et va rejoindre Paul qui semble un peu paumé, toujours en pleine recherche.

- Alors, t'en es où ?

- Je ne trouve toujours pas, c'est compliqué !

- C'est trié par première lettre de nom de famille, puis année et mois de naissance. Tu sais en quelle année est née Mireille ?

- Non, je sais seulement qu'elle a eu cent ans hier si je ne me trompe pas.

- Tu le fais exprès ou quoi ?

- Comment ça ?

- Elle est née en mille-neuf-cent-vingt-deux ! Laisse-moi voir ça.

Il ne faut que quelques secondes à Danielle pour retrouver le dossier de Mireille Card. Il est donc noté qu'elle est la fille d'Aurore Bernard et de Léon Fournier, et a donné naissance, le vingt-sept mai mille-neuf-cent-soixante-trois, à une fille qu'elle n'a pas reconnu à sa naissance, avec un père inconnu. Ce bébé, dont la mère n'a pas choisi de prénom et a été abandonné à sa naissance, a été appelé Jeanne Nocogno. Danielle n'a aucune connaissance d'une certaine Jeanne Nocogno. Ils vont dans la section des « N » et cherchent. Jeanne était, pendant une certaine période, le prénom, et Nocogno le nom de famille, donnés par défaut aux enfants non reconnus jusqu'à ce qu'ils soient adoptés. Il faut fouiller parmi des dizaines de dossiers. Danielle prend une pile de dossiers, Paul une autre, et ils cherchent celui dont la mère est Mireille Card.

- Quand tu étais chez elle, tu n'as pas entendu parler d'un enfant qu'elle pouvait avoir, Paul ?

- Pas du tout, ça ne me dit rien.

- Au fait regarde ça : Jouanet, c'est bien ton nom de famille ?

- Bien sûr, pourquoi ?

Danielle lui montre le dossier d'Aurore Bernard, mais la mère de cette personne ne lui dit rien du tout.

- Qui est cette Huguette Jouanet, Danielle ?

- Je n'en sais rien, mais elle est la mère d'Aurore Bernard et la grand-mère de Mireille Card. Et vu son nom, il y a une chance qu'elle soit une de tes ancêtres, peut-être ta grand-mère ?

- Bah non, ma grand-mère c'est Mimose.

- Et ton arrière-grand-mère ?

- Ha, là c'est possible je ne la connais pas et n'en ai jamais entendu parler.

- Bon, je te laisse trouver le dossier de la Jeanne Nocogno qui nous intéresse, je vais chercher en attendant celui de Huguette.

Elle se dirige vers la zone dans laquelle sont référencés les patients dont les noms commencent par la lettre « J », quand une lumière s'allume : quelqu'un vient d'arriver à leur étage. Ils ont très peu de temps pour trouver les dossiers qui les intéressent. Danielle ne met pas longtemps à calculer l'année de naissance de Huguette Jouanet et trouve assez rapidement son dossier sur un coup de chance : il se trouve dans la pile des dix premiers qu'elle a sorti. Elle le met dans son sac, sans prendre le temps de regarder, et rejoint Paul.

- Alors, ça donne quoi ?

- Je ne trouve toujours pas. Au fait, c'est toi qui as allumé la lumière ?

- Non, on doit se dépêcher. Il reste combien de dossiers à vérifier ?

- Toute cette pile, environ une cinquantaine.

- On n'aura pas le temps. Laisse tomber, on se casse.

- On range tout, ou pas ?

- Pas le temps, on décampe !

Alors que des bruits de pas se rapprochent de plus en plus du lieu où ils se trouvent, ils laissent tous les dossiers qu'ils ont sortis au sol et filent vers le fond de la salle : une porte est présente, mais fermée. Danielle sort de sa poche ses deux épingles.

- Trouve-nous une autre sortie, au cas où, pendant que je crochète la serrure !

Paul s'éloigne pendant qu'elle essaie, prise d'une crise d'angoisse, d'ouvrir la porte. Elle n'y arrive pas, ses mains tremblent trop. Elle prend dans son sac un médicament pour se calmer, mais celui-ci n'agit qu'au bout de quelques minutes.

- Viens par-là !

Elle rejoint Paul, encore en train de trembler, qui lui a trouvé au sol une grille qui donne peut-être sur des égouts : il la soulève, laisse Danielle passer devant, puis s'engage à son tour dans le trou en prenant soin de bien remettre la grille en place. Ils n'ont pas pénétré dans des égouts, comme ils l'ont supposé, mais dans un dédale de couloirs : ils sont descendus au milieu d'une intersection donnant accès à une dizaine d'ouvertures. Paul commence un peu à paniquer.

- Mince, on va faire comment pour s'en sortir ? On attend que le mec au-dessus s'en aille et on rebrousse chemin ?

- Il est quasiment midi, il risque d'y avoir pas mal d'allers et retours dorénavant, je ne pense pas qu'on ait d'autre choix que de tenter notre chance ici !

- Comment on va faire ? On prend tous les chemins de droite jusqu'à espérer sortir un jour ? Mais on va mourir de faim et de soif !

- Tu n'as pas de bouteille d'eau sur toi ? Faut vraiment que tu apprennes à partir à l'aventure...

- Excuse-moi de ne pas me préparer à commettre des délits ! Bon, au moins j'ai pu faire l'amour proprement avant de mourir !

- T'es affligeant parfois, et encore je minimise !

Danielle sort de son sac une boussole.

- Hum... sans vouloir te vexer, ça va nous servir à quoi de savoir où est le nord ?

- À sortir d'ici ! Nous étions dans l'aile 0uest de l'hôpital, donc allons par-là !

Elle se met en route et Paul la suit, sans certitude. Le noir est total, et malgré leurs deux lampes torches ils doivent progresser doucement.

- Haaa... c'est quoi ça ?

Paul pense avoir aperçu quelque chose bouger devant eux. Danielle prépare son couteau et avance prudemment : Il s'agit d'un rat, surpris et apeuré par la lumière qu'ils projettent. Avant de continuer Danielle prend un médicament de son sac, ce qui surprend Paul.

- C'est quoi ?

- Un cachet pour calmer les crises d'angoisses, ce couloir ne me dit rien qui vaille.

- Je peux en avoir aussi s'il te plaît ?

Elle lui en donne un et ils continuent.

Au bout d'une demi-heure de marche, à tourner dans divers couloirs en fonction de la boussole, Danielle s'arrête net : Paul la percute accidentellement.

- Quoi ? Pourquoi tu t'arrêtes ?

- Chut !

Ils entendent une respiration, haletante, qui devient de plus en plus forte. Paul suppose que ça peut être un fantôme : Danielle lui met un coup sur la tête, agacée par cette supposition farfelue. Elle lui indique de s'accroupir, de faire le moins de bruit possible, et ils éteignent leurs lampes. Au bout de quelques secondes, la respiration entendue est tellement forte qu'il est certain que la personne qui la produit se trouve devant eux. Ils attendent, espérant qu'il passe son chemin et parte le plus loin possible. Tout à coup Danielle se prend, dans l'épaule, un coup de jambe : elle allume instantanément sa lampe. Paul actionne la sienne dans la foulée : Ils font face à un homme totalement habillé en blanc, on dirait vêtu d'une camisole de force, mais il a la pleine utilisation de ses bras.

- Ho...

- Bonjour monsieur. Qui êtes-vous ?

- Pitite fille...

- On vous laisse reprendre votre chemin, et on va de notre côté : ça vous va ?

- Baiser...

Danielle, apeurée, bascule derrière Paul.

- Partez, s'il vous plaît. On ne vous veut pas de mal...

- Baiser...

- Paul, faut qu'on se casse !

- Baiser ! Baiser ! BAISER !

Lampes torches en avant ils se mettent à courir, au hasard des couloirs, espérant échapper à ce fou qui les poursuit. Un moment Danielle tourne à droite, alors que Paul a continué tout droit. Elle ne prend pas le temps de faire demi-tour, de regarder en arrière, et continue à courir : elle sent que c'est elle qui est chassée, l'autre a également tourné avec elle.

Au bout d'un instant elle tombe sur un mur, aucun autre chemin n'est possible : elle est arrivée au bout d'un cul-de-sac. Elle se retourne et voit cet homme fou prêt à lui sauter dessus : elle est piégée. Lampe et couteau en avant, elle est prête à se défendre.

Il tente de lui attraper un bras, elle esquive sans problème. Il fait une nouvelle tentative, encore une fois sans succès. Alors il se précipite sur elle et met ses bras autour du cou de Danielle. Elle lui plante le couteau dans le bras gauche : il émet un cri de douleur, mais ne lâche pas son étreinte. Elle sort le couteau, qui était planté, et lui met un second coup dans le même bras : toujours la même réaction de l'homme au niveau de la douleur, mais cette fois son étreinte devient plus forte. Elle a alors une idée pour s'en sortir : elle planta un coup dans le bras droit, ce qui engendre toujours la même réaction, mais elle s'y attend cette fois : elle a seulement l'intention d'affaiblir son assaillant. Alors elle lui saisit les deux bras, relève son bassin et ses jambes, et lui met deux violents coups de pieds dans le visage : ça a, pour effet, de lui faire lâcher prise et de le faire vaciller. Il crie de douleur, et est sur le point de s'effondrer au sol. Danielle fait une roulade, pour se retrouver derrière lui, et le frappe le plus fort possible sur la tête avec sa lampe torche : il s'écroule au sol, sans connaissance. Sur le point de boire un peu d'eau, pour récupérer, elle entend des bruits de pas : quelqu'un est en train de courir, et vient d'arriver juste derrière elle. Aussi agile et souple qu'un karatéka elle lance un coup de pied le plus haut possible : la personne, qui vient d'arriver, évite de justesse.

- Mais ça ne va pas, ou quoi ? Je suis venu t'aider !

- Merci, mais tu as quelques secondes de retard Paul...

- Comment t'as fait pour te débarrasser de lui ?

- Fallait pas sécher tous les cours de sport, ça t'aurait été utile !

- Ha ! Ha ! Ha ! Bon, maintenant qu'il est KO, on fait quoi ? On part par où ? Et on fait quoi de lui ?

- Chaque chose en son temps : je récupère quelques secondes et on reprend notre progression selon la boussole. On ne va pas s'embêter de lui, autant le laisser là : il a su tomber sur nous, il retrouvera son chemin comme un grand !

Danielle prend de l'eau, souffle un bon coup et entraine Paul dans une nouvelle marche, en recherche d'une sortie. Après un moment à tourner, après avoir vu environ une douzaine de rats, ils arrivent devant une grille : par chance elle est ouverte. Ils entrent dans une pièce totalement sombre, remplie de vieilles chaises et tables, toutes totalement recouvertes de poussières. Au bout de cette pièce se trouve un escalier qui monte vers un endroit éclairé : ils éteignent leurs lampes et avancent prudemment, en faisant le moins de bruit possible. Ils sont arrivés dans un couloir d'hôpital, totalement vide. Aucun bruit à l'horizon, ils prennent sur la droite : arrivés au bout le couloir tourne vers la gauche, et mène à un ascenseur. Ils s'y rendent et appuient sur le bouton pour l'appeler.

- Jeunes gens, que faites-vous ici ?

Ils se retournent : un médecin les regarde, plutôt intrigué. Danielle tente une excuse, au bluff.

- Nous sommes venus voir notre grand-mère.

- Vous êtes à l'étage psychiatrique, cet étage est interdit à tout visiteur.

- Nous sommes arrivés ici par erreur, et le temps de s'en rendre compte l'ascenseur était reparti.

Le médecin prend dans sa poche un bipeur et appelle la sécurité.

- Il faut une clé pour venir et repartir d'ici, vous allez vous expliquer avec la sécurité.

Paul bouscule le médecin, pour le faire tomber au sol, et indique à Danielle de le suivre. Ils coururent dans le couloir et prennent le chemin inverse, pour retourner dans le sous-terrain.

- Tu n'es pas bien, Paul ? Si on y retourne on n'a quasiment aucune chance d'en ressortir !

- Avec ta boussole on peut trouver une autre sortie, non ?

- Ce n'est pas comme ça que ça marche. On a intérêt à présenter nos excuses et se laisser faire sortir de l'hôpital maintenant.

- Mais ils vont poser des questions et nous fouiller !

- T'as pas tort. Bon, tentons le coup !

Ils retournent dans les sous-sols, lampes torches allumées, et décident de prendre tous les chemins à gauche jusqu'à trouver une sortie. Alors qu'ils perdent espoir, petit à petit, et envisagent de faire demi-tour pour se rendre à la sécurité, ils tombent sur une porte en métal. La serrure est facile à crocheter, et il ne faut que quelques secondes à Danielle pour la déverrouiller. Ils entrent dans une pièce, donnant sur un ascenseur, et contenant divers meubles et appareils médicaux. Alors que Paul se dirige vers l'ascenseur, le regard et l'esprit de Danielle sont attirés par un objet assez étrange : une table en bois avec des sangles, comme pour maintenir des bras et des jambes, reliés à un étrange appareil. Danielle pose ses mains sur la table en bois et est instantanément prise d'une émotion intense : une larme perle dans le coin de son œil gauche, et son esprit est aspiré dans un souvenir qu'elle a mis énormément de temps à oublier. Elle n'entend pas Paul qui lui parle, qui lui demande de le suivre, de ne pas perdre de temps : ce souvenir, douloureux, est remonté de force à la surface, et Danielle ne peut y échapper.


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