Au nom du père

30/09/2022

Danielle se réveille tout à coup, en sursaut : quelqu'un vient de poser une main sur son épaule.

- Bonjour mademoiselle. Puis-je voir votre titre de transport s'il vous plaît ?

- Bien sûr.

Elle sort de son sac son billet, que le contrôleur valide.

- Merci. Votre arrêt est dans dix minutes.

- D'accord.

Pendant que le contrôleur va vérifier les billets des autres passagers, Danielle range le sien et, sans se rendormir, referme les yeux et replonge dans son rêve. Ce rêve est entremêlé de deux sentiments, très différents, qui la trouble : d'une part il s'agit d'une expérience traumatisante, une douleur et une angoisse qui fait très mal ; et d'autre part une période libératrice, une révélation, une acceptation de son identité. Mais bien au-dessus de ces sentiments elle est envahie par la haine : la colère de connaître l'histoire de sa famille, le dégoût de ce qu'a réalisé Mireille Card, le rejet d'un avenir qui semble dévasté. Danielle ouvre les yeux, le train entre en gare d'Auxerre. Elle se lève, prend son sac et va devant la porte. Une fois le train arrêté, elle descend et prend un taxi.

- C'est pour aller où, mademoiselle ?

- Toucy, s'il vous plaît.

- Une adresse précise ?

- Le camping municipal, s'il vous plaît.

- Nous sommes partis.

Le trajet se déroule rapidement, sans souci. Une fois arrivée sur place elle paie sa course et commence à réfléchir. La police est-elle en mesure d'anticiper ses actions ? Elle doute. Elle sait que ça semble impossible, mais elle doute énormément. Après avoir retourné la question dans sa tête, cherché toutes les options possibles, elle se lance : elle décide d'aller dans son ancienne maison. Arrivée sur place, derrière un arbre, elle observe et est rassurée : tous les volets sont fermés, sa maison semble abandonnée. La maison des voisins est recouverte de bandes « scène de crime » et aucune voiture de police n'est visible. Elle sort de sa cachette et se dirige chez elle. Elle passe à droite, par une petite allée, et retire de la terre au niveau d'un rosier. Elle trouve une petite boite en bois contenant une clé. Elle la récupère et se dirige derrière la maison, vers la porte de derrière qui donne sur le jardin. Danielle crochète la serrure avec deux épingles et entre. Elle tend l'oreille, aucun bruit n'est perceptible. Rassurée, en partie, elle se rend dans le bureau de son père et, au niveau de son plan de travail, ouvre un tiroir avec la clé qu'elle a récupérée. Elle y trouve et récupère un pistolet, ainsi que des balles. Elle referme le tiroir.

- Bon, maintenant il faut que je m'assure d'une chose.

Elle prend son téléphone et appelle le commissariat.

- Bonjour, est-ce que monsieur Gaston Fradier est présent au commissariat ?

- Oui, bien sûr, c'est pour quoi ?

- Il m'avait donné sa carte il y a quelques semaines, et j'aurais voulu le rencontrer. Je peux passer dans trente minutes ?

- Je ne sais pas s'il sera disponible, vous voulez que je le prévienne ?

- Pas besoin, je vais essayer de l'appeler sur sa ligne personnelle pour avoir un rendez-vous.

- D'accord, bonne journée madame.

- Bonne journée, au revoir.

Danielle quitte sa maison et se dirige chez Gaston. Une fois sur place elle tourne autour de la maison : il ne semble y avoir que sa femme de présente, en train de lire un livre. Il est seize heures, à peine passé. Elle rentre discrètement dans la maison et monte à l'étage, puis se cache dans un placard. Elle y attend, sans faire de bruit, un bon moment. Bien plus tard, quand elle est certaine que tout le monde est rentré, elle sort de sa cachette, pistolet à la main, et se dirige dans le salon : Gaston, sa femme et son fils y sont. Elle pointe son arme vers eux.

- Danielle, que fais-tu là ?

- Vous allez tous vous taire, et répondre simplement à mes questions.

Gaston recule doucement, tout en tentant de soutenir le regard de Danielle : elle tire une balle dans la jambe de sa femme.

- Tu bouges encore, le prochain tir sera fatal.

Il fait un autre pas en arrière, tout en regardant Danielle dans les yeux : elle tire une balle dans la tête de la femme de Gaston, qui s'écoule instantanément. Il revient et prend son fils dans ses bras.

- Mais qu'est-ce qui te prend, Danielle ?

- Je veux des réponses.

- C'est toi qui as tué le docteur Corlotti, n'est-ce pas.

- Donc tu sais pourquoi je suis énervée.

- Mais tu veux quoi ?

- Toute ma famille est morte, on dirait qu'elle a une malédiction, je suis ici pour y mettre fin.

- Je t'empêcherai de tuer mon fils.

- Certainement pas. Mais avant, j'ai quelques questions...

Gaston se met à courir, en direction d'une commode : Danielle lui tire une balle dans la jambe. Elle lui tire une balle dans la seconde jambe, et s'approche de lui.

- Mais pourquoi tu nous fais ça, Danielle ? Pourquoi cette haine contre nous.

- Ce n'est pas contre toi, Gaston, c'est contre ma famille. Et malheureusement pour toi, tu en fais indirectement partie.

- Mais...

Elle lui tire une balle en plein cœur et se retourne vers Thibault : il est recroquevillé en dessous de la table à manger. Elle l'attrape par le col et l'emmène en haut, dans sa chambre. Elle ferme la porte à clé, laisse le petit s'installer sur son lit, accroché à une peluche, et elle s'assied sur une chaise en face de lui.

- Bon, Thibault...

- Tu vas me tuer aussi, Danielle ?

- Ce n'est pas la question. Sais-tu que Gaston et Monique ne sont pas tes parents ?

- Comment ça ?

- Ils t'ont adopté à ta naissance, mais tu n'es pas leur enfant biologique.

- Oui, je les ai surpris en train d'en parler une fois.

- Et bien ta maman biologique, ta vraie maman, c'est moi.

- Mais tu es trop jeune, non ?

Danielle lui raconte son histoire, sa jeunesse, et ce qu'elle a appris par le docteur Corlotti.

- Bon, on va aller vivre ensemble.

- Non.

- Comment ça, non ?

- Tu as tué mes parents ! Tu vas aller en enfer, t'es méchante !

- Mais c'est moi, ta mère.

- Non, t'es personne. T'es celle qui a tué mes parents. Je te déteste !

- Bon, dans ce cas...

Elle lève son pistolet et tire sur Thibault : une balle en plein cœur, qui le fait s'écrouler sous le choc.

- Je me doutais que tu n'accepterais pas.

Danielle pleure abondamment, prise d'une crise de panique : son sac est en bas, et elle ne se sent pas la force et le courage de descendre. Elle se met au sol, roulée en boule, et attend. Après un certain moment elle se stabilise, se relève et descend dans le salon. Elle entend des sirènes de police. Sans réfléchir elle jette le pistolet et sort rapidement par le jardin, passe par la propriété d'un voisin et s'enfuit le plus loin possible. Après avoir couru un bon moment elle s'arrête pour reprendre son souffle, à l'intersection de deux petites rues. Danielle commence à paniquer : elle a oublié son sac là-bas, elle n'a plus ses médicaments avec elle. Elle fouille ses poches : elle n'a sur elle que ses deux épingles. Il lui faut de l'argent et des médicaments pour pouvoir disparaître. Elle se rend à la pharmacie, pas loin de sa maison, où elle a l'habitude de récupérer ses médicaments. L'établissement est vide, seule la pharmacienne habituelle s'y trouve.

- Bonjour madame Bertier.

- Bonjour Danielle. Eh bien, ça fait longtemps que je ne t'ai pas vu, comment tu vas ?

- Et bien pas top, pour vous dire : je rentre à peine de Paris et j'ai perdu mon sac, avec tous mes médicaments, et je n'en ai plus.

- Tu aurais besoin de combien de boîtes ?

- Pour les deux mois à venir, jusqu'à la prochaine visite de mon psychiatre.

- Tu vas devoir les payer, vu que c'est hors ordonnance.

- Aucun problème.

- Je vais les chercher, prépare ta carte vitale.

- Très bien.

Lorsque la pharmacienne revient avec les boîtes de médicaments, Danielle les prend d'un geste vif et court jusqu'à la sortie.

- Danielle...

- Désolée, madame.

Elle s'enfuit en ville et se réfugie au camping. Maintenant qu'elle a commis ce vol, et vu qu'elle a laissé des informations la concernant chez les Fradier, elle doit impérativement s'enfuir le plus loin possible, le plus rapidement possible. Elle tourne dans le camping et, un moment, repère trois personnes qui quittent leur tente pour se rendre très certainement au terrain de pétanque. Elle attend qu'ils soient suffisamment loin et va jusqu'à l'entrée de la tente, l'ouvre et récupère un sac à dos. Elle le vide, y met ses médicaments et leur prend également deux autres choses : une bouteille d'eau et un sweat à capuche, bien trop grand pour elle. Elle quitte le camping le plus discrètement possible, la tête cachée sous la capuche, et se rend en centre-ville. Elle a de la chance le prochain bus pour Auxerre passe dans cinq minutes. Elle attend au pied d'un arbre, cherchant à fuir les regards des gens, et se déplace jusqu'à l'arrêt quand le bus arrive enfin. Elle prend place et se laisse conduire jusqu'à la gare d'Auxerre. Pendant le trajet Danielle réussit à subtiliser le portefeuille d'un passager assoupi, et lui prend une centaine d'euros en billets. Une fois arrivée à destination, elle s'apprête à descendre mais le chauffeur l'en empêche.

- Excusez-moi, mademoiselle, je veux voir votre ticket de bus.

- Heu... je n'en ai pas, je suis désolée, je suis pauvre.

- Et bien tu raconteras ça à la police. En attendant, tu vas attendre ici.

- Je peux vous payer le prix du billet, si vous voulez.

- Trop tard, petite.

Tout le monde dans le bus la regarde, ce qui la gêne énormément et commence à lui causer un sentiment de panique. Elle tente de forcer le passage, en bousculant le chauffeur : il résiste, l'attrape par les épaules et la repousse. Elle tente à nouveau sa chance, cette fois avec plus de malice : elle feint de vouloir bousculer le chauffeur et lui fait un croc-en-jambe, ce qui le fait tomber au sol. Elle saute par-dessus et s'enfuit. Elle se dépêche d'entrer dans la gare et regarde les trains pour Paris : le prochain part dans une vingtaine de minutes, en provenance d'une autre ville. Danielle se rend aux toilettes des femmes de la gare et attend. Pendant son attente elle entend différents va-et-vient, mais personne ne semblant la chercher. Au bout d'une dizaine de minutes elle sort, voulant aller au guichet acheter un billet de train. Malheureusement, des policiers tournent dans la gare. C'est trop risqué d'être à découvert : elle remet sa capuche, pour cacher son visage, et fait profil bas en longeant les murs. Elle se rend sur le quai du train qui part pour Paris, et lorsqu'il s'arrête à quai elle prend place à bord, dans une voiture plutôt vide. Après quelques minutes il se met en route. Un contrôleur va très certainement venir la contrôler, elle doit l'anticiper et se cacher. Elle se place en dessous des sièges, trouve une position pas trop désagréable, et attend que le trajet se fasse. Un moment, alors qu'elle est un peu plongée dans ses pensées, une tête apparaît devant elle.

- Bonjour, mademoiselle, vous n'avez pas de siège attitré ?

- Heu... si, je ne me sentais pas bien et je me suis allongée.

- Vous voulez qu'on prévienne les secours ?

- Non, je pense que ça va un peu mieux.

- Venez, je vais vous aider à vous relever.

Le contrôleur aide Danielle à sortir, se redresser et s'asseoir.

- Avez-vous besoin d'un médecin ?

- Non, je pense que ça ira.

- Tant mieux. Puis-je avoir votre titre de transport s'il vous plaît ?

- Bien sûr. Une seconde s'il vous plaît.

Danielle fait mine de chercher dans son sac et se met tout à coup à courir, à s'enfuir. Elle arrive entre deux wagons et appuie sur le bouton d'urgence, pour forcer l'ouverture de la porte. Ils vont à vive allure, au milieu des champs.

- Ne sautez pas, mademoiselle, c'est trop dangereux.

À côté du contrôleur se trouve un policier, arme levée, qui s'approche d'elle. Lorsqu'il arrive à sa hauteur il lui attrape le bras. Au lieu de se débattre, et de perdre le rapport de force qui lui est défavorable, elle lui met un coup de pied dans l'entre-jambes qui le fait crier de douleur. Elle lui arrache des mains son pistolet et saute du train.

- Haaaaa...

Danielle tombe lourdement au sol et roule sur plusieurs dizaines de mètres. Elle se relève tant bien que mal, avec quelques coupures. Elle range le pistolet dans son sac et boit un peu d'eau. Elle a mal un peu partout, et marcher est une souffrance. Elle se dirige malgré tout vers un village, qui doit se trouver à environ deux kilomètres. Alors qu'elle a fait la moitié du chemin, elle entend du bruit derrière elle : des policiers et des chiens sont en train de lui courir après. Elle accélère le pas et, une fois dans le village, va se réfugier dans la mairie : la personne chargée de l'accueil l'interpelle.

- Mademoiselle, vous saignez !

- Oui, je suis au courant.

- Vous voulez l'adresse du médecin du plus proche ?

- Non merci, ça ira.

- Que voulez-vous alors ?

Danielle se retourne et voit, à travers les grandes vitres, un grand nombre de voitures de police. Un policier, tenant un haut-parleur, s'adresse à elle.

« Danielle Ventisci, veuillez vous rendre sans faire d'histoire s'il vous plaît. Nous ne voulons pas de drame, alors sortez les mains sur la tête. »

Danielle se retourne vers la femme de l'accueil.

- Vous êtes vraiment dangereuse, mademoiselle.

Elle sort de son sac l'arme qu'elle a subtilisé au policier dans le train.

- Ha oui, vous êtes dangereuse. Je peux partir ?

- Non, vous restez avec moi.

Danielle va à sa hauteur et pose sa main sur son épaule.

- Vous allez m'aider à sortir, madame.

- Comment ça ?

- Faites-moi confiance, et il ne vous arrivera rien.

Danielle pointe son arme sur sa tête, se colle à elle et elles sortent ensemble de la mairie.

- Baisse ton arme et mets-toi à genoux les mains sur la tête, Danielle, et tout se passera bien.

- Je ne m'agenouille que devant Dieu, et je ne le vois pas ici.

Tous les policiers se regardent, perplexes. La femme que Danielle tient en otage commence à trembler et à paniquer.

- Il semblerait que les enfers m'appellent, que je rejoigne ma famille et ferme à tout jamais le livre de notre histoire...

- Danielle, pas de bêtise s'il te plaît.

- ... je n'espère recevoir aucune rédemption, j'ai commis trop de péchés, il est temps pour moi d'aller les expier.

- Danielle...

Danielle repousse la femme sur le côté, ferme les yeux et pointe son pistolet vers les policiers.

- Au nom du père...

Elle n'a pas le temps de tirer qu'une pluie de balles s'abat sur elle. Elle est transpercée de toutes parts, et s'effondre au sol.

- Mais...

Danielle ouvre les yeux. Elle se touche le corps : aucun sang, aucune blessure, comme si elle n'avait jamais été tuée.

- Où suis-je ?

Elle est entourée de brouillard, d'un brouillard épais qui ne lui permet pas de voir quoi que ce soit, et a très froid. Tellement froid qu'elle ferme ses bras autour du corps, en tremblant. Tout à coup une partie du brouillard se dissipe et laisse place à une porte en bois. Danielle s'y dirige, doucement, prudemment. Une fois arrivée une personne apparaît à côté d'elle : un homme, assez beau et bien habillé.

- Bienvenue mademoiselle. Comment allez-vous ?

- J'ai froid. Qui êtes-vous ?

- Je m'appelle Lucifer, et je viens vous accueillir pour votre châtiment.

- Je suis en enfer ?

- Vu ce que vous avez fait dans votre vie, notamment ces derniers jours, vous vous attendiez à autre chose ?

- J'avoue...

- Ainsi vous allez passer une partie de l'éternité dans une cellule, à revivre le pire moment de votre vie.

- Quel est-il ?

- Vous verrez bien, je vous laisse la surprise !

Danielle fouille dans ses poches.

- Mince, je n'ai pas de médicaments.

- Vous êtes déjà morte, vous n'en avez plus besoin.

- Mais si j'ai une crise d'angoisse ?

- Vous devrez la subir, vous y survivrez assurément.

- Ho...

Lucifer sort une montre à gousset de sa poche, la regarde et la range immédiatement.

- Bon, mademoiselle, ce n'est pas que votre présence le gêne, bien au contraire, mais j'ai une autre personne importante à accueillir !

- Vais-je retrouver ma famille ?

- Quand vous aurez suffisamment subit votre châtiment, très certainement.

- Bon, au revoir alors.

- Moi je vous dis à jamais, je vous souhaite une bonne éternité.

Il ouvre la porte : on ne voit rien du tout dans la pièce, elle est illuminée de lumière. Danielle entre, la porte se referme derrière elle.

Ainsi, pour une partie de l'éternité, Danielle va vivre en boucle l'évènement le plus marquant de sa vie, celui qui lui a provoqué le plus de culpabilité. Elle aura des crises de paniques, assurément, et vivra un véritable cauchemar à répétitions. Un jour elle sera libérée de ce châtiment, on l'aura jugée suffisamment punie, et son âme ira reposer avec sa famille, notamment ses parents, auprès desquels elle trouvera la quiétude à tout jamais.


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