Les Bôsôzoku

Notre histoire commença un jour, un bel après-midi d'été, lors d'une réunion du clan Roots qui avait été organisée par Shakra. Celui-ci, doté d'une grande sagesse, était très écouté et respecté par tout le monde, et avait donc naturellement pris le poste de chef pour organiser les combats et les opérations du clan. Ce jour-là, il n'y avait qu'un seul sujet à l'ordre du jour : dans une ville un peu lointaine, à des dizaines de kilomètres, un groupe qui se faisait appeler les Bôsôzoku semait la pagaille, saccageait la ville, et une aide avait été demandée aux habitants de Clint City. Shakra avait répondu positivement à la demande, et la réunion devait décider de la personne qui irait porter secours. Après quelques discussions, notamment sur diverses opérations en cours, il fut décidé que ce serait Lou qui irait résoudre le problème.

Lou, une jeune femme à peine majeure, avait rejoint le clan à l'âge de quinze ans. Abandonnée par ses parents alors qu'elle était bébé, puis élevée par une louve, au sein d'une meute, elle les quitta vers l'âge douze ans pour défendre la cause des moutons, et les protéger des attaques de sa famille. Et après trois années à errer, à survivre dans la forêt, elle avait atteint la ville de Clint City, et avait naturellement rejoint le clan Roots pour continuer son combat, et participer à d'autres qui lui tenaient à cœur.

Elle avait été choisie pour aller combattre les Bôsôzoku, et cette mission l'avait ravie : sur le trajet, qui prenait quasiment deux journées pour faire l'aller et le retour, elle avait le temps de faire un détour pour passer voir sa famille, son ancienne meute, pour prendre des nouvelles. Elle s'était habillée, avait préparé un sac de provisions, et le lendemain de la réunion elle prit son vélo et partit.

Il faisait beau, il était agréable de se déplacer en vélo avec un magnifique soleil qui brillait de tout son éclat, et elle prenait son temps pour profiter des paysages qu'elle n'avait pas eu l'occasion d'admirer depuis plusieurs années. Un moment, alors qu'elle devait être environ à mi-distance dans son trajet, elle tomba sur une voiture garée le long de la route. Elle s'arrêta à sa hauteur : personne ne se trouvait à l'intérieur. Elle regarda tout autour, cherchant le propriétaire du véhicule, mais aucun bruit, aucun indice, ne laissait deviner l'endroit où il pouvait être. Elle allait reprendre son chemin lorsqu'elle entendit un bruit : quelqu'un s'était blessé, à quelques mètres au milieu des arbres. Lou sauta de son vélo et courut vers l'endroit d'où était provenu le cri. Après quelques secondes de course elle tomba sur mouton, qui avait une légère entaille au niveau de la cuisse. Elle sauta sur lui, pour le prendre dans ses bras et le protéger, mais celui-ci ne se laissa pas faire : il fit une roulade, pour éviter Lou, puis se redressa sur ses deux pattes arrière et sortit de sa fourrure deux paires de ciseaux, qu'il pointa vers la jeune femme, de manière menaçante.

- Dis-donc, gamine, tu cherches à m'agresser ?

- Mais non, j'ai entendu ton cri et je voulais te sauver.

- Qu'est-ce qui te fait croire que j'ai besoin d'aide ?

- Heu…

Il fallait avouer que ce mouton sortait de l'ordinaire, Lou n'en avait jamais vu un pareil : doté d'une énorme boule de laine qui recouvrait le haut de son corps, il portait notamment un bonnet et un bas de maillot de bain, tous deux imprimés du logo des Jungo, un clan qui résidait au zoo de Clint City.

- Il ne me semble jamais t'avoir vu en ville. Je m'appelle Lou, enchantée.

- Moi c'est Cheep. Tu me veux quoi ?

- Comme je t'ai dit, je pensais que tu étais en danger. Dans le coin vit une meute de loups.

- C'est tout ?

- Bah c'est dangereux, quand même.

- Quand on vient de Clint City, rien n'est dangereux en dehors de la ville !

- C'est pas faux. Tu fais quoi ici ?

- Je faisais une pause. Alors que je conduisais, j'ai vu un poil rebelle sur ma cuisse, et me suis arrêté pour le couper.

- D'accord. Et tu vas où ?

- Je vais combattre les Bôkôzoku, on m'a chargé de leur mettre une raclée.

- Moi aussi, ça te dit qu'on y aille ensemble ?

- J'avoue, je ne dis pas non. Allez, on y va.

Ils retournèrent tous deux au niveau de la route, Cheep mit le vélo de Lou dans le coffre de sa voiture, puis l'invita à prendre place avec lui dans le véhicule.

- Tu fais quoi, là, Lou ?

- Bah je prends place, pourquoi ?

- Tu peux monter derrière, s'il te plaît ?

- Pourquoi ?

- Tu verras bien. Prends la place arrière, côté passager.

- D'accord.

Lou s'assit et mit sa ceinture, pendant que Cheep prenait place au volant. Elle comprit rapidement pourquoi il lui avait demandé de se mettre à une place précise : la laine du mouton prenait beaucoup de place, tellement de place que tout l'avant du véhicule était bloqué par le pelage, ainsi qu'une partie de la place derrière lui.

- Et tu arrives à voir la route, avec tout ça ?

- Bah oui, quand même, allons…

Il démarra la voiture, et ils se mirent en route. Pendant le trajet, Lou raconta son histoire, son parcours de vie, et cette mission qu'elle avait accepté de mener. Cheep parla également de lui, de son existence au sein des Jungo. Il avait été découvert quelques jours auparavant, et avait rejoint le clan pour ne plus être seul dans le zoo. Pour gagner sa place au sein des autres animaux, pour justifier de pouvoir rester avec eux, il devait accomplir une mission d'utilité pour le clan, et aller défier les Bôkôzoku lui avait été attribué. Cependant, il appréhendait grandement cette tâche, car il n'avait jamais vraiment eu l'occasion de se battre jusqu'alors, et il ne savait pas à combien de personne il allait devoir faire face.

Alors qu'ils roulaient, Lou ne voyait pas la route devant eux, l'espace complètement bouché par toute la laine, et elle se contentait de regarder par la vitre les arbres qui défilaient sur sa droite.

- Tu m'accorderais une faveur, petite ?

- Laquelle ?

- Je dois les vaincre seul, donc j'aimerais que tu ne te fasses pas voir.

- Mais c'est ma mission, aussi !

- Bah tu diras que t'es tombée sur moi, et que tu es partie sur autre chose.

- Non, c'est ma mission aussi.

Tout à coup, une paire de ciseau émergea de la laine, face au visage de Lou.

- En fait, je ne te laisse pas le choix gamine.

- Tu comptes vraiment m'éborgner ?

- Si nécessaire, je n'hésiterai pas.

- Bon, c'est d'accord.

- Merci bien.

Après deux heures de trajet, ils arrivèrent à leur destination : ils entrèrent en ville et garèrent la voiture près de la mairie. Lou et Cheep sortirent de la voiture, et le mouton sortit de sa laine un morceau de papier.

- Bon, il faut qu'on se rende au bar « Ne baisse pas les bras, et lève le coude ».

- Tu sais où il se trouve, Cheep ?

- Je vais me renseigner, je reviens.

Cheep se rendit à la mairie, et revint quelques minutes plus tard.

- Bon, on va s'occuper d'eux. Mais avant…

- Quoi, avant ?

- Tu aurais un moyen de te rendre invisible ?

- J'y ai réfléchi pendant le trajet.

Lou releva son écharpe, jusqu'en au haut du nez, et abaissa sa capuche, qui représentait une tête de loup, pour ne laisser apparaître que ses yeux.

- T'es sérieuse ?

- Si on ne me reconnaît pas, ça devrait le faire.

- Ai-je vraiment le choix ? Bon, c'est mieux que rien. Allons-y.

Ils se rendirent tous les deux au bar, devant lequel était garé une trentaine de motos.

- Ha oui, quand même, il doit y avoir du monde…

- T'inquiète, Cheep, ça va le faire.

Cheep ferma les yeux, souffla, puis les réouvrit et s'avança, les deux paires de ciseaux dans les mains, vers le bar. Lou, elle, avait pris dans son sac un grand os solide, et emboîta le pas au mouton. Ils entrèrent, et tombèrent dans une ambiance très festive.

De la musique retentissait très fort. Un groupe, d'une quinzaine de personnes, dansait au milieu, pendant que d'autres buvaient en rigolant au bar, et que des petits groupes jouaient au billard. Il était certain qu'ils appartenaient tous au même clan : ils portaient tous une veste avec le même logo, certains avec et d'autres sans manche, et arboraient tous, hommes et femmes confondus, des coiffures bananes. Les Bôzôkozu étaient là, environ une cinquantaine de personnes se trouvait dans ce bar. Derrière le comptoir se trouvait vieil homme, habillé d'un tablier, mais la lueur de peur qui marquait ses yeux signifiait qu'il ne faisait pas partie des leurs, qu'il était certainement retenu contre son gré.

Lorsque quelqu'un s'aperçut de l'entrée des deux compagnons de cette aventure, il siffla fortement en plaçant deux doigts dans sa bouche. La musique s'arrêta, et une jeune femme s'approcha d'eux : elle portait des lunettes de soleil, et était armée d'un sabre.

- Tiens donc, vous vous êtes perdus étrangers ?

Cheep ne bougeait pas, très certainement impressionné par le nombre de personnes qu'ils allaient devoir combattre : Lou prit la parole.

- Ce n'est pas votre bar, vous allez devoir partir d'ici je crois.

- Mais ce petit loup parle, incroyable !

Tout le bar rigola à la suite de la femme qui s'était mise à rire.

- Toi et ton mouton, vous comptez nous faire partir à vous deux ?

Cheep saisit le bras de Lou, et décida de prendre la parole.

- Déguerpissez tous, ou je vous coupe la banane !

- Tiens donc, je crois que c'est toi qui vas te faire tondre plutôt.

La femme agita rapidement son sabre, et coupa de la laine de Cheep. Celui-ci regarda, avec horreur, les poils tomber au sol, puis redressa sa tête : il était bouillonnant de colère, il tremblait, et ses yeux s'étaient injectés de sang.

- Mon… magnifique… pelage…

- Et tu vas comptes faire quoi ?

- Haaaaa… !

Cheep se rua sur la femme, la déséquilibra, lui fit lâcher son sabre, et lui coupa sa banane. Tous les autres se ruèrent sur le mouton, mais aucun ne réussit à l'arrêter. Il esquivait les coups, repoussait avec aisance celles et ceux qui essayaient de lui tomber dessus, les mettait KO les uns après les autres, et il leur coupait la banane. Lou, impressionnée par la puissance de Cheep, et n'étant pas forcément rassurée de prendre part à ce combat, se dirigea discrètement vers le comptoir et commanda un diabolo menthe. Elle regardait les Bôsôzoku tomber petit à petit, tout en sirotant sa boisson.

Après une bonne demi-heure de lutte intense, tous les membres du clan gisaient au sol, blessés, et certains pleurant la coupe forcée de leurs cheveux.

- Tu nous paieras ça, le mouton.

- En attendant disparaissez, sinon je me fâche davantage !

Ils se relevèrent tous, certains aidant d'autres à se remettre sur pieds, et sortirent du bar. Pendant que des bruits annonçaient que les motos démarraient et partaient, Cheep rejoignit Lou au bar, et commanda un verre de cognac, que le barman lui servit avec un grand sourire.

- Merci monsieur. Bon, ils ne devraient plus vous embêter je pense.

- Vous avez été incroyable, merci beaucoup ! Quel est votre nom ?

- Cheep, à votre service.

- Merci beaucoup Cheep, je vous dois beaucoup.

Il but son verre, puis Lou et lui s'en allèrent.

- Tu vois, Cheep, tu n'avais pas besoin de moi !

- Ils ont osé toucher à ma laine, c'est quelque chose qui m'énerve au plus haut point.

- J'ai bien vu, et jamais je n'oserai y toucher !

- Merci à toi d'avoir été là, seul je ne sais pas si j'aurais vraiment osé me battre.

- Mais finalement tu t'es battu comme un chef, bravo à toi.

- Merci. Bon, retournons à Clint City maintenant.

Ils retournèrent à la voiture, reprirent leurs places, et repartirent chez eux.

Sur le trajet, alors qu'ils n'étaient pas loin d'arriver, la voiture tomba en panne : elle était à sec, Cheep avait mal calculé l'essence dont il avait besoin. La nuit était tombée depuis un petit moment, et Cheep n'était pas motivé par l'idée d'une longue marche nocturne.

- Mince, en plus on n'était pas loin…

- Je me souviens de cet endroit, c'est où je t'ai croisé à l'aller.

- Combien de temps à pied tu penses, Lou, pour rentrer ?

- Une heure et demi, je dirais.

- Bon, allons-y, je viendrai récupérer la voiture plus tard.

Ils sortirent de la voiture et se mirent en marche. Après un court instant, le cri d'un loup se fit entendre, et l'animal qui était très certainement à l'origine de bruit débarqua sur la route. Il se jeta sur Cheep, mais Lou réussit à le protéger en repoussant l'assaillant. Le loup montra les crocs, et Lou fit de même. Il se rua une nouvelle fois sur le mouton, que Lou défendit encore. Suite à ce nouvel échec le loup s'enfuit, et Lou se mit à sa poursuite : elle cria alors qu'elle partait s'enfoncer dans les bois.

- Rentre en ville, Cheep, et vite !

Elle poursuivit le loup un bon moment jusqu'à une tanière : il y avait plusieurs loups, posés au sol, qui se reposaient. Lou s'approcha d'eux, les regarda : certains lui étaient connus, elle les avait côtoyés pendant son enfance, d'autres non. Elle rentra dans le terrier, et aperçu un animal qu'elle reconnut immédiatement : il s'agissait de Lupila, la louve qui l'avait adoptée alors qu'elle était bébé. Elle alla se coucher et se blottir contre l'animal qui l'avait adoptée, bébé, et se laissa lécher le visage. Lupila poussait des gémissements de joie, ravie de retrouver son bébé après six années de séparation. Après un moment câlin de retrouvailles, Lou se prépara à repartir pour Clint City lorsqu'un bruit la fit sursauter : un loup hurlait de douleur, à l'extérieur. Lupila et Lou sortirent rapidement : elles virent un loup au sol, dans un bain de sang, et devant lui un grand crocodile armé d'un couteau. Lou releva sa capuche, pour laisser apparaître son visage.

- Qui êtes-vous ? Et pourquoi ?

- Tiens, une Roots. Rentre en ville, petite, cette affaire n'est pas la tienne.

- C'est ma famille, donc ça a tout à voir avec moi.

- Ils ont refusé mon contrat, ils en paient le prix.

- Je vous interdit de les tuer, il faudra me passer dessus avant !

- Avec plaisir !

Le crocodile leva son couteau et s'élança sur Lou : elle esquiva, de justesse. Mais elle avait subi une belle entaille au niveau du bras, et elle commençait à saigner. Tous les loups présents se jetèrent sur cet animal hostile : d'une main le crocodile en attrapa un, d'un coup d'épaule il écarta les autres, et planta son couteau dans le ventre de celui qu'il avait attrapé.

- Personne ne refuse une proposition de Sobek, vous allez tous le payer.

Après ses paroles il attrapa, tour à tour, trois autres loups et les tua sans pitié. Il ne restait plus que Lou et Lupila : elles se regardèrent, et prirent la fuite. Elles couraient dans les bois, et entendaient derrière elles l'animal qui les poursuivait.

Lou trébucha et tomba lourdement au sol, elle s'était pris la cheville dans une racine. Le crocodile réussit à l'attraper par la cheville, et la souleva en l'air : son regard était sombre, et son sourire laissait apparaître des dents ensanglantées. Il se prépara à la frapper de son couteau, lorsqu'il dut la lâcher : Lupila s'était jetée sur lui, afin de le mordre à la tête. Il cria de douleur, attrapa Lupila par une patte et la jeta sur Lou. Tandis que Lupila avait du mal à se relever, la patte par laquelle elle avait été attrapée s'était brisée, Sobek, lui, saignait à différents endroits de sa tête, et son œil gauche avait été crevé par un des crocs de la louve. Malgré cet éborgnement, sa rage ne redescendait pas, et il s'avança pour les attaquer à nouveau : Lou sortit de son sac un os, plongea en avant, au contact du crocodile, et lui assena un coup violent sur le haut du crâne. Il tomba au sol inconscient. Elles prirent la fuite, Lou portant dans ses bras sa mère adoptive.

- Je vais t'emmener avec moi en ville, mam, et je vais te soigner.

Après un bon quart d'heure de marche Lupila s'agita, et Lou la posa au sol. La louve ne voulait pas suivre sa fille adoptive, la vie en ville n'était pas faite pour elle. Maintenant que le reste de sa famille et de sa meute n'étaient plus, elle souhaitait retourner dans la montagne, au milieu de la neige et de l'air pur, pour y terminer sa vie tranquillement. La jeune femme commença à pleurer, comprenant que c'était très certainement la dernière fois qu'elle verrait sa mère adoptive, et la prit dans ses bras. La louve lui lécha la joue, pour lui dire au revoir, et partit vers les montagnes situées au nord-ouest de Clint City, laissant sa fille rejoindre la ville et son clan.