Timber

Clint City : intrusion toxique.
Épisode 1 : Timber.
Elle paniquait, ne savait pas si elle allait survivre à cette terrible chute : elle essaya d'appuyer sur tous les boutons pour que quelque chose se produise. Rien. Son vaisseau était en feu, aucune commande ne répondait, la collision avec la surface était imminente. Elle martelait tous les boutons. Toujours rien. Plus que quelques secondes avant l'impact : elle quitta son poste de pilotage et alla se réfugier dans un renfoncement.
*BOUM*
Après un léger moment d'inconscience elle ouvrit ses trois grands yeux noirs et scuta son corps : ses quatre bras étaient intacts, ses deux jambes aussi, et la couleur de son pelage qui avait tourné au vert avec la panique redevenait petit à petit jaune avec d'étranges motifs bleus. Elle bougea ses bras : tout semblait bien aller. Elle se leva, esquissa quelques mouvements, sautilla sur place : aucune blessure apparente. Elle était ravie de s'en être sortie indemne, du haut de son petit mètre, contrairement à son vaisseau : différents endroits s'étaient enflammés, des étincelles jaillissaient du tableau de bord, et du carburant coulait à l'intérieur. Oui, du carburant ! Et du feu ! Elle reprit une couleur verte, attrapa ce qui ressemblait à une montre et sortit sans trop réfléchir. Elle eut à peine le temps de se mettre bien à l'abri que le vaisseau explosa. Un énorme bruit et une déflagration qui se calma moins d'une minute après.
Après un voyage d'environ trois cents ans dans l'espace, ce qui représentait une goutte d'eau dans son existence, Kjyrft avait décidé d'atterrir sur la première planète avec de la vie qu'elle avait rencontrée sur sa route : malheureusement, l'entrée dans l'atmosphère avait mis le feu et endommagé son vaisseau jusqu'à le détruire. Même si elle avait survécu, elle était embêtée : qu'allait-elle trouver précisément sur cette planète ? Les espèces vivantes présentes seraient-elles en mesure de l'accueillir, l'écouter et l'aider ? Et surtout comment allait-elle pouvoir reconstruire un vaisseau pour repartir ? Tant de questions qui n'étaient pas importantes dans l'immédiat : elle devait avant tout se repérer et trouver un point d'eau pour se restaurer. Elle prit sa petite montre dans une de ses mains, cliqua sur un bouton et une modélisation de la planète sur laquelle elle avait atterrie avec différentes informations s'afficha en hologramme. Elle se trouvait dans une zone géographique appelée le Canada, où deux langues étaient principalement parlées : le français et l'anglais. Par sécurité, quand elle avait aperçu cette planète sur son radar, Kjyrft avait téléchargé sur son badge toutes les informations qu'elle avait pu trouver en scannant la Terre et différents satellites artificiels qui contenaient pas mal d'informations : les espèces les plus évoluées donnaient toutes leurs informations, sans rien cacher. C'était dangereux, très dangereux, selon qui leur rendait visite. Elle bloqua son badge sur un traducteur universel, l'attacha sur son cou et se mit en route. En se rendant à un lac elle croisa, de loin, quelques créatures visiblement effrayées qui avaient gardé une bonne distance avec elle. Il faisait nuit, une température plutôt douce, cette petite marche aurait pu être agréable si Kjyrft n'avait pas peur d'être agressée par un prédateur : malgré le fait que ses trois yeux lui permettaient d'avoir un champ de vision très large, elle voyait plutôt mal dans la nuit. Une fois arrivée au lac elle s'accroupit, but un peu d'eau et se reposa quelques instants au sol. Alors qu'elle contemplait le ciel étoilé, perdue dans ses pensées, elle fut ramenée à la réalité par un bruit soudain : un homme, très grand et très musclé, fit irruption en sifflant. D'où venait-il ? Elle ne l'avait pas entendu arriver. Il portait une hache dans une main et une grande bûche de bois dans l'autre. Alors qu'il s'approchait de plus en plus, Kjyrft se releva et recula un peu, prête à s'enfuir si besoin.
- Tiens, bien le bonjour petite tête ! L'information de l'autre fou était bonne, comme quoi...
- Heu... Bonjour, humain ! Vous n'avez pas peur de moi ?
- Bien sûr que non ! T'es pas le premier extraterrestre que je vois, et sûrement pas le dernier !
- Vous avez déjà vu d'autres êtres de mon espèce ?
- Des comme toi, vert avec des tâches bleues, jamais...
Après ces quelques échanges avec cet homme, sa peur diminuait et elle reprit petit à petit sa couleur originale.
- ... enfin, jaune, ou quelle que soit la couleur, non je n'en ai jamais vu de comme toi avec cette apparence !
- Vous avez parlé d'une information, c'est-à-dire ?
- On m'a dit que je te trouverai ici, précisément aujourd'hui et à cette heure-ci, je n'y ai pas cru : en général je vais chercher les nouveaux sangs en France, dans les souterrains de la cité de Carcassonne !
- Qui vous a indiqué mon arrivée ici ?
- Une créature assez étrange, je dois l'avouer ! Enfin bon, moi c'est Timber, et toi ?
- Je me nomme Kjyrft.
- Et d'où tu viens ? Quelle est ton histoire ?
Ils s'assirent tous deux au bord du lac et elle lui raconta son passé.
Kjyrft n'avait connu aucune planète avant la Terre, elle était née à bord d'un vaisseau spatial. Elle était une des trois dernières survivantes de son espèce qui avait été exterminée par les Kmitayas, des dévoreurs de planètes : ces énormes vers avaient infesté la planète de ses ancêtres, plongé dans le sol pour se nourrir jusqu'à tout engloutir et la faire disparaître. Seuls les parents de Kjyrft réussirent à survivre, à s'enfuir. Avant de mourir ils donnèrent naissance à trois enfants, trois filles, qui partirent chacune dans un coin de la galaxie, en quête d'aide et d'un avenir.
Après des centaines d'années sans croiser aucune forme de vie intelligente, Kjyrft était ravie et quelque part soulagée d'avoir raconté son histoire, que la trace de son peuple perdure à jamais. Ému par cette histoire, Timber ne put s'empêcher de retenir une larme.
- Quelle triste histoire, petite. Et tu comptes faire quoi sur notre planète ?
- Je ne sais pas du tout. Déjà apprendre à survivre, et après je verrai selon les rencontres que je ferai.
- Je pense pouvoir t'amener dans un endroit dans lequel tu pourras trouver ta place, est-ce que ça te tente ?
- Je n'ai rien de mieux, vous êtes le premier humain que je rencontre.
- Parfait. Suis-moi alors !
Timber se releva, reprit sa hache et sa bûche, puis commença à marcher : Kjyrft lui demanda où il voulait l'emmener, il se contenta de lui faire un signe de la tête avança. Seule, perdue sur cette planète, elle ne pouvait rien faire d'autre que le suivre et espérer que ses intentions ne furent pas mauvaises : elle lui emboîta le pas. Après une demi-heure de marche ils arrivèrent à une cabane en bois, sûrement la maison de ce grand homme. Il déposa le tronc d'arbre au sol.
- Tu as envie de te reposer, petite ?
- Ce n'est pas nécessaire, je n'ai besoin que de quinze minutes de sommeil toutes les trois années terrestres seulement.
- Parfait, dans ce cas on y va tout de suite !
Avec sa hache il coupa d'un coup sec la buche, qui s'ouvrit en deux et laissa apparaître un vortex.
- Vous m'emmenez où ?
- Depuis toujours des extraterrestres sont venus sur Terre, et ils ont tous trouvé leur place à Clint City : je pense que tu y trouveras la tienne.
- Mais je pourrai revenir ici, si besoin ?
- Un chemin inverse est possible, mais pas des plus faciles. Alors, qu'en dis-tu ?
Kjyrft réfléchit un instant. Si elle sautait dans ce vortex, si elle s'engageait dans cette voie, elle ne reverrait très certainement jamais ses deux autres sœurs : elle avait, de toute façon, fait une croix sur cette possibilité depuis des dizaines d'années. Cet humain lui voulait-elle du mal ? Si ça avait été le cas, il aurait pu l'attaquer depuis un moment déjà. D'autres extraterrestres étaient présents à Clint City : tant mieux, avec une population de ce genre elle trouverait sûrement sa place dans ce nouveau monde. Elle se décida, sur ce dernier argument, et sauta dans le vortex. Timber passa après elle, le passage se fermant derrière eux.
Après une dégringolade de quelques secondes ils débarquèrent tous deux dans un endroit isolé, au milieu d'arbres : assez agile Kjyrft atterrit sur ses quatre bras et ses jambes, Timber lourdement sur les fesses. Il se releva rapidement. Ils avaient atterri dans un bosquet, qui laissait entrevoir à quelques mètres l'entrée d'une ville. Il faisait très beau, un léger vent agréable tournoyait, et deux soleils brillaient haut dans le ciel. Ils firent quelques pas vers l'entrée de la ville lorsqu'ils s'arrêtèrent immédiatement : une personne les avait vu, et leur bloquait le chemin.
- Tiens, Timber, tu cherches la bagarre ?
- Je suis en train d'accomplir une mission, je ne veux pas me battre.
- Encore une extraterrestre ? Vous n'en avez pas assez, vous autres Leaders, de renforcer ces horribles Sakrohm ?
- Elle n'est pas forcément vouée à les rejoindre. Laisse-nous passer, Brutox, rien ne nous oblige à nous battre.
Sans lui répondre, Brutox avala deux pilules roses et violettes. Ce jeune homme, plutôt grassouillet et avec un visage à faire peur, se transforma : ses yeux devinrent rouges, sa silhouette s'affina ; et ses mains se transformèrent en grapins mécaniques.
- Dis, petite, tu sais te battre ?
- Je ne sais pas, Timber, avant vous je n'ai jamais rencontré une seule autre vie étrangère.
- D'accord, je m'en occupe seul.
Timber sorti d'une de ses poches quatre pilules qu'il avala : instantanément il grandit et ses muscles gonflèrent énormément, ce qui déchira en partie sa chemise, ses chaussures et son pantalon. Il fonça alors vers Brutox, qui avait déjà démarré sa course vers lui, grapins en avant. D'un crochet du gauche dans le ventre Timber déstabilisa son assaillant, complètement sonné ; et d'un énorme coup de poing du droit dans la tête il le mit au sol, inconscient.
- Allons-y, avant de rencontrer un autre enquiquineur qui nous fasse perdre du temps.
Kjyrft rejoignit Timber, et ils entrèrent tous deux dans la ville : le soleil était en train de se lever, les façades des bâtiments étaient toutes volets fermés et pas une âme ne se trouvait en extérieur. Ils progressèrent dans la ville. Au détour d'une rue ils rencontrèrent un jeune homme, qui ne lâcha plus Kjyrft du regard lorsqu'il l'aperçue.
- Bienvenue à toi, gentil alien. Viens, que je te fasse un câlin !
- De quoi ? Pardon ?
Il s'approcha, bras ouverts, de Kjyrft : elle prit peur et sauta en un éclair sur les épaules de Timber.
- Allons, alien, je ne souhaite que t'accueillir amicalement. Viens dans mes bras !
- Allez, bonne nuit Halley !
Timber lui mit une baffe, il tomba KO sur le coup. Kjyrft descendit au sol et continua de suivre cet homme qui semblait extrêmement fort. Ils arrivèrent, après une dizaine de minutes de marche, au pied d'un énorme bâtiment. Il était bien plus imposant que tous ceux qu'ils avaient vus jusqu'alors. Sa couleur était d'un blanc magnifique, et sur l'immense porte d'entrée était visible un blason d'un cuivre étincelant : une forme de triangle, pointé vers le bas, avec une tête de ce qui semblait être un loup. Timber sortit d'une poche une clé, l'inséra dans la serrure, la fit tourner et ouvrit la porte.
- Je t'invite à rentrer, petite, j'ai d'autres tâches à accomplir.
- Qu'y a-t-il dedans ?
- Une personne va t'accueillir et te présenter notre monde.
Kjyrft entra.
- Au revoir, petite, à bientôt.
La porte se referma, elle entendit le bruit de la serrure puis plus rien. Elle se trouvait dans une immense entrée, tout en marbre blanc, avec au bout de la pièce une porte et deux escaliers, un de chaque côté, permettant de monter à un balcon intérieur qui faisait tout le tour de la pièce et menait à une grande quantité de portes. Après une trentaine de secondes d'attente une des portes à l'étage s'ouvrit : un grand homme, vêtu tout en noir avec une immense cape et une casquette qui cachait son visage, apparut.
- Vous êtes nouvelle en ville, c'est ça ?
- Oui, bonjour monsieur.
- Venez, nous allons commencer votre formation.
C'est avec une certaine appréhension que Kjyrft monta un des escaliers et alla le rejoindre.